Je vous l'avais promis, un petit résumé de "comment exerce-t-on la médecine à Mayotte", mais c'est impossible à décrire, il faut le vivre pour le croire !! Je ne savais donc pas par quel bout commencer, mais là, c'en est trop, il faut que je raconte : ce matin, un brancardier a appelé dans le service pour dire qu'il ne pouvait pas emmener un patient à la dialyse, motif "il pleut"... bon ok cette pluie là, elle te rince en deux secondes, mais là j'en croyais pas mes zoreilles !!
Vous l'aurez compris, rien n'est facile.
Les malades sont tellement jeunes (moyenne d'âge en réa 25 ans vs 70 en métropole) que je suis obligée de découvrir la réa pédiatrique, certes tout aussi passionnante que celle de l'adulte, mais beaucoup plus stressante, tout est en version mini, tous les médicaments dilués à des doses infimes (vive la calculatrice!), et des pathologies qui m'étaient jusqu'à maintenant inconnues : déficit en arginase, maladie mitochondriale de la chaine enzymatique respiratoire, déficit en G6PD, drépanocytose homozygote... bref vive le vademecum metabolicum pédiatrique, ou la consanguinité?... Bon c'est bien beau ces diagnostiques, mais ici on a rien pour les traiter alors pour peu qu'en plus ils n'aient pas la CQ, ben t'es dans une belle impasse avec une mortalité infantile bien trop élevée... A ma dernière garde c'est un gamin de 10 ans qui est mort d'un abcès cérébral parce qu'on ne lui avait pas donné les antibiotiques ! Ah oui coco (mamie) elle a emmenée son petit-fils au dispensaire pour voir le docteur, mais après y avait trop de monde pour les médicaments alors on est partis... probablement qu'ils n'avaient pas d'argent puisqu'ils ne pouvaient même pas s'acheter à manger, mais tous les médicaments sont gratuits pour tous les enfants, papiers français ou pas. Je vous raconte pas la galère quand le transporteur de corps (seul sur Mayotte, Mzungu ayant le monopole après avoir obtenu la fermeture de la société concurrente mahoraise...) a demandé 380 euros à la famille pour ramener le corps chez eux, à 10km de l'hôpital...
Je ne reviendrai pas sur les sans papiers (le plus souvent des comoriens arrivant par kwassa ou même habitant depuis toujours à Mayotte mais étant devenus sans papiers depuis que Mayotte est française), mais rares sont les médecins qui ne font pas de l'humanitaire au quotidien, certes sur le dos de la CQ, mais pour des gens qui en ont vraiment besoin ! Ceci dit, même si c'est gratuit pour une grande majorité des patients rares sont les malades compliant et observant avec leur traitement. Beaucoup pensent que c'est du poison, ou alors qu'ils ne sont pas malades puisque tout va bien alors "pourquoi le médecin blanc veut-il que je prenne des médicaments ?" Donc difficile d'instaurer un traitement et d'espérer un suivi régulier. Je ne parle même pas d'installer une machine de ventilation à domicile, encore faut-il se renseigner sur l'état du logement parce qu'un banga sans électricité en représente un contre-indication...
Le laboratoire, ça aussi c'est toute une histoire !! Quand l'examen prescrit n'a pas été zapé par l'infirmier, que le manip labo ne le laisse pas traîner sur la paillasse, que le logiciel fonctionne correctement (et non de façon "dégradée"), tu peux espérer obtenir un résultat dans la journée... et puis tout ce qui n'est pas fait en routine est envoyé à la Réunion, donc faut
attendre l'avion du lendemain que le prélèvement ne tombe pas dans la soute de l'avion, que le coursier le dépose au bon labo le surlendemain et que
l'analyse débute 3 jours plus tard... bref les patients meurent bien avant d'avoir eu le résultats de la biopsie !
La neurochirurgie et la cardiologie, les 2 grandes absentes de l'île. Tu te retrouves en réa avec des patients hospitalisés pour des infarctus ou des anévrysmes cérébraux rompus qui doivent attendre l'avion du lendemain pour aller à la Réunion bénéficier de soins adaptés. Autant dire que tu serres les fesses ! et ça génère un trafic sanitaire monstrueux avec en général au moins un patient transféré chaque jour ! (encore une niche fiscale pour les docteurs qui économisent des miles à chaque voyage sur le dos des patients... ou pour air austral qui a la monopole puisque réquisitionné par l'Etat).
Bref la médecine à Mayotte c'est un mélange de découvertes en tout genre, où médecine, social et droit sont notre quotidien. On vient de recevoir un courrier du préfet qui stipule le "renvoi immédiat et sans soin de tout comorien capable de marcher", à vous d'interpréter !
Voilà, c'est difficile de résumer une façon complètement différente de pratiquer la médecine, je n'ai abordé que quelques aspects, pour ne pas vous lasser, mais pour ceux que ça intéresse, je fais un petit carnet d'anecdotes (pour ne pas oublier, si c'est oubliable ?!) que je mettrai sur le blog.
Promis, j'arrête de râler quand mon père chute de son lit d'hôpital, avec une énorme bosse comme résultat. Ce n'est rien , au vu de ce que je viens de découvrir à travers votre récit. On en reste coite!
RépondreSupprimerBon courage et gros bisous.
ET....TRES BONNE ANNEE 2014 A VOUS DEUX!
Isabelle
je vous souhaite une bonne année 2014, bonne santé, propérité
RépondreSupprimergros bisous
jas